[Not] nice to meet you [again]. // Karess

L'homme était un vrai monstre, une bête en furie lâchée dans les égouts, à marauder. Stacy n'en avait pas vu de tel depuis bien longtemps, si elle avait pu le rencontrer, là dehors et l'étudier... Mais pour le moment, son petit coeur manquait de lâcher. La menace venait de cracher un mot à peine compréhensible tandis que la Black-hat lutte de tout son être pour s'en éloigner le plus rapidement possible, pataugeant ridiculement, son sac frottant contre la paroi qui l'étouffe davantage pour combler le tout. Quelques coups de Docs bien placé et la voici dans un vestiaire.


Il faut un instant à la jeune femme pour s'habituer à l'odeur pestilentielle et remonter son col sur son nez, ses yeux humides déforment ce lieu sinistre, son coeur bat si fort, elle se sent étourdie... Quelques pas maladroits et c'est une conserve qui vole, élevant un essaim d'insectes insupportable que Stacy s'empresse de chasser d'un mouvement de bras agacé. Elle est détrempée, poisseuse comme jamais et n'arrange rien en venant essuyer de sa manche tachée les quelques larmes qui perlaient. Elle regrette instantanément le geste et pose sa main sur ses lèvres pour étouffer un cri alors qu'elle fait face à plusieurs cadavres, qu'elle étudie méthodiquement, clouée sur place. Ses yeux s'ouvrent en grand, s'embrument à nouveau tandis qu'elle toussote, prise d'un haut le coeur. Des corps, elle en avait vu sur les Dark-net, mais jamais en vrai.  


Elle détourne le regard, couinant de nouveau entre ses dents, totalement paniquée. Ses jolis iris ambrées, scrutent. Aucune idée de ce qu'elle pouvait bien chercher. Elle évalue le matériel, les issues, tente de faire abstraction des corps et ramasse cette photo cornée qu'elle fourre dans la poche de sa veste, les informations avant tout. Son sang ne fait qu'un tour lorsque les bruits de canalisations forment un nouveau compte à rebours. Stacy s'élance sans réfléchir, shootant dans quelques bouteilles au passage, peu importe. Elle se saisis de l'arme avant de bondir dans la direction opposée pour se cacher dans l'espace carrelé, glissant un petit peu sur la crasse qui stagnait autour des évacuations bouchése. Masse rougeâtre/marron, infecte, dégageant une puanteur insoutenable.


Il reste un instant à Stacy pour vérifier le chargeur, un coup d'oeil rapide sur le pistolet suffit à en déduire que c'est une arme de service, les longues conversations d'Erick espionnées au détour d'un couloir auront été payantes. Les militaires, décidément...

"Sh**!" -Grogne-t-elle.

Vide. Complètement vide ! Elle n'a pas le temps d'aller fouiller les corps ou les casiers à la recherche de munitions et les sorties sont trop loin. La bête est presque là. Que faire ? Ses canines s'enfoncent dans sa lèvre tandis qu'elle retient son souffle, tentant tant bien que mal de se concentrer sur les pas de l'homme. S'il approche, elle cogne. Du moins, elle essaye. De petits morceaux de carrelages brisés sont au sol, surement le résultat de l'une des crises du déments. Si elle pouvait s'en servir pour détourner son attention...

Elle dévisage cette face bouffie avec dédain, nez froncé, pupilles rivés sur l'homme qui rampait faiblement, réduit à l'état de larve aux yeux de la hackeuse. Sa main froisse ladite photo qu'elle enfourne au fond de sa poche, guidée vers un dédale de couloirs par une mystérieuse entité, tel un chant de sirène intérieur, au plus profond de son âme. Un pas, puis un autre, machinal, déshumanisé, les pieds lourd, trainant, cognant les détritus et autres saletés jonchant le sol. Stacy n'est plus vraiment là. On l'appelle, on l'attire... On l'appâte ?  Une marche, une autre. La chose est omniprésente, se manifeste, bien qu'imperceptible. Elle titube, une fois, deux fois. Enivrée.  

"Ka-Ress..." Crache-t-elle maladroitement, la mâchoire comme du chewing-gums.

Un tag, ici ? Dans un coin aussi reculé ? Et Karess ? Qu'est ce que c'était ? Quel intérêt, sa place était la bas, peut-importe ce qu'il y avait dans cette salle.

"Home."

Était-ce la chaleur d'un foyer qui lui caressait la peau ? Et cette boule dans le ventre, l'excitation de rentrer à la maison après un long voyage ? Elle semblait retrouver quelque chose de familier dans cette pièce pourpre, comme une petite place au coin du feu, un illusion dérisoire de stabilités, surplombée par un drôle de trophée de chasse aux angles saillant. Mais ça n'avait pas d'importance, il fallait qu'elle rentre.

La porte se referme lourdement, le vacarme des machines envahis soudain la jeune femme qui réalise partiellement dans quel lieux elle est. C'est ce son, toujours ce même traître de son, qui la ramène à la réalité. L'illusion tombe en morceaux à mesure que d'autre se suivent, l'atmosphère devient cauchemardesque. Le trophée de chasse n'est plus que masque terrifiant, la pièce une nouvelle prison, un enfer fait de flammes, de néons rappelant Masego, de caméras qui la déshabillent, mettent son être en morceaux .

Elle fait un tours sur elle même, virevolte nerveusement tandis que ces machines diaboliques continuent de se multiplier. Pas d'angles morts, pas échappatoires. Elle viderait les barils d'essences dans la pièce s'il le fallait. Il ne l'auraient pas comme ça !

Grognement hystériques, coups de pieds dans le grillage, dans les montagnes de détritus, elle lance quelques objets lourds sur ces satanés yeux mécaniques, faisant les cents pas dans la pièce avant de se terrer dans un coin, comme un petit animal cherchant un coin pour se laisser mourir. Dents serrées et corps tremblotant, elle tapote de temps à autre l'arrière de son crane sur le mur derrière elle avant d'enfoncer sa tête entre ses genoux. Ça n'était pas possible. Ça ne pouvais pas être possible. Un mauvais rêve tout au plus. Une vilaine impression d'avoir mis le pieds dans un piège à ours gagnait du terrain. Comment ça avait pu arriver ?

À l'affut du moindre son perçant le ronronnement des machines, sifflement des braseros, autres vapeurs et néons clignotant, Trojan s'échauffe un petit peu, saisissant son outil. Peut-être pourrait-elle faire quelque chose ? Quelqu'un l'avait piégé, ils l'avaient fait exprès, et ils ne tarderaient sûrement pas à venir la chercher. Ou bien la milice la laisserait pourrir ici pour ne plus jamais avoir à s'occuper d'elle ? Ça non. Elle ne les laisseraient pas faire. C'était trop facile.

Une lumière blanche, accompagnée de les bleutés viens finalement percer la teinte rouge de la pièce, la cachette entre deux barils s'illumine d'un petit halo qu'elle ne peux bien-sûr pas entrevoir. Son petit bijoux de technologie est étrangement long à s'allumer, elle prie pour qu'il n'ai pas trop prit l'eau, bien qu'il soit normalement à tout l'épreuve. Mr Kaido aurait été bien bête de concevoir de l'équipement paramilitaire qui ne serait pas Waterproof, cependant Stacy soupire longuement, se remémorant que ce génie de l'armement ne savais même pas faire des nouilles déshydratée, après tout. *

Spoiler:

Ploc. Une goutte s'abat sur l'écran. Son bleu roi immobile se voit maintenant tachetés de blanc, de magenta, les pixels se dessinent avec distinction. De la sueur ? Une larme ? On ne saurait trop dire, le petit corps de Trojan trembles de tout son être bien que dégoulinant. Les mèches de cheveux collent à son front, ses yeux grands écarquillés brillent, reflètent l’écran mort. Ils sont rouges, beaucoup trop rouges.

« … »

Elle avait entrouvert les lèvres, oh, ça lui avait demandé un effort considérable de mouvoir sa bouche desséchée par les halètements, sa langue pâteuse avait claqué contre son palais, mais aucun autre sons n’en était sorti. Elle voulait appeler à l’aide, quelqu’un. Mais qui ?

Il n’y avait personne.

Constat terrifiant qui fit balancer la jeune femme vers l‘arrière, les muscles de ses bras semblèrent perdre toute vie, ses mains et son outil s’écrasèrent mollement sur ses jambes. Elle fit mine d’humidifier ses lèvres gercées, comme si ce simple geste pouvait la ramener à un semblant de réalité.

Il n’y avait jamais eu personne.

Joshua était un bourreau malgré lui.
Killian, Thomas et Axel des victimes.
Zäler avait promis.
L’homme en Noir n’avait pas fait mieux.
Et sa mère… Que penserait sa pauvre mère d’elle.

Une femme admirable, bien que sa crête bleue et son mode de vie ne l’aie discréditée que trop souvent.

"ILS PAIERONT."


Les frissons, l’adrénaline qui l'avaient envahie lors de l'affrontement la secouèrent. Elle avait cette boule dans le ventre, ce nœud dans l’œsophage. Oui, elle avait cette colère, cette force qui l’avait fait mettre un pied devant l’autre depuis tout ce temps. Elle allait...

« Vivre. »

Un écho de Killian l’interpellait de nouveau.

"VIVRE."

Comme un ordre, le mot avait résonné beaucoup plus fort. Plus grave aussi. La voix sonnait différemment, il y avait quelque chose d'inhumain cette fois-ci. La digression sur sa place sur terre était devenu un impératif, une mission. Vivre n'était plus un choix, mais une responsabilité.

Ploc. Une autre goutte, tombée du plafond. Les canalisations s'entremêlaient sous le regard de Stacy qui s'extirpaient de son refuge, faisant tomber ça et là des objets divers en équilibre sur sa cachette de fortune. Elle empoigne avec le peu d'assurance qui lui est permis la console tombée au sol et semble faire face à la machine qui fait écho à la sienne.

D'un mouvement, elle déplie les extensions sur les cotés, commençant à taper avec les pouces sans regarder un instant les touches. L’écran à l'autre bout de la pièce répond, tressaillant au hasard. City 1B est liée de près ou de loin à l'organisation que préside l'Homme en Noir, il y avait forcément dû avoir des plans, des architectes, des équipes pour raccorder l'eau, l’électricité, organiser les transports, l'isolement des menaces. Des traces, il y avait surement des traces. En témoigne les hommes massacrés dans les vestiaire. L'assaillant appartenait-il à la Millice de Dieu ? A l'organisation précédemment citée ? Ou à ces traîtres de Hunter...  

Qui qu'ils soient, ils étaient un élément de réponse. Elle piocha la photo dans sa poche, froissant le papier à l'angle. Ce jeune homme à lunette... Elle avait bien une vieille base de données des Hunter, avec le profil détaillés de ses employés et mis la main sur quelques archives qui auraient contrarié l'Homme en Noir, mais quel était le pourcentage de chance qu'il y ait une correspondance ? Une confiance injustifiée l'avait envahie. Lancer une analyse ne coûterait rien, si ce n'est la patience d'avoir les résultats. Elle verrouille l'outil en plein labeur et fit volte face pour confronter les caméras.

"-Je n'ai pas peur de vous..."

Cette affirmation n'était pas simplement une menace, un semblant de renaissance qui impliquerait une rémission tenant de la sorcellerie tant elle était infondée. La hackeuse venait simplement de réaliser que ce n'était pas la machine le problème, mais la personne derrière.
Elle baissa les yeux un instant, le regard traînant sur ses jambes couverte de saletés et de poussière.

"-C'est les gens..."

Une profonde haine irradia la jeune femme, un mélange de honte et de colère prit le contrôle de ses doigts qui essayaient de dicter à la machine de trouver une solution. Le dernier mot semblait sorti de nul part et pourtant déjà si familier.

"-Karess?"

Ça lui avait échappé. Ses petits yeux noisettes fixèrent l'écran de la machine obsolète, comme si elle était doté de parole.

Hi !:

Un vacarme hors de contrôle avait envahi l'espace. Une vague, aussi violente qu'inattendue. Un raz-de-marée.

La minuscule Stacy, face à l'improbable. Le temps s'était arrêté un instant. Au milieu de ce tumulte, tout avait été balayé dans le crâne de la jeune femme. Plus de pensées en arborescence, qui se suivent, s'accélèrent, se superposent, jusqu'à la tachypsychie, la manie. Le silence, la clarté, enfin.

Un silence lointain et artificiel, comme un voile posé sur les oreilles, mais le silence quand même, et deux grands yeux qui la scrutent. Elle avait cru, ne serait-ce qu'une seconde, qu'elle allait se faire manger tout cru, comme le disent si souvent les œuvres destinées aux enfants, celles qui mettent en garde contre le monde. Mais il n'en était rien, elle plongeait à son tour ses pupilles noisette dans celles de la créature qui se dressait devant elle, une pointe dans le coeur.

"Quel regard triste", avait elle pensé, incapable de déterminer s'il s'agissait, dans une certaine mesure, de son propre reflet ou simplement, une forme d'échange avec ce drôle d'être. Être, dont elle ne savais dire s'il lui inspirait la crainte ou la promesse d'un jour nouveau.

" - Je suis si fatiguée..." Lacha-t-elle, à demi mot.

Pendant cette petite pause, suspendue sur le fil du temps, si une telle chose existait, Trojan avait accepté d'être vulnérable. La lumière avait changé, le message de Karess, qu'elle pouvait maintenant nommer, aussi.

" -Mais je suis tellement en colère. "

"Tellement en colère." Seuls ces trois mots avaient été retranscrit à l'écrit.

Elle ne voulais pas être docile, le gout chimique de cassis de la Lamotrigine lui revenait comme un mauvais rêve, lui tordant le foie. "Rage", "Fous-furieux" en voilà des choses qui lui étaient familière, agréable. Tout ce qu'elle avait toujours connu, sa zone de confort, aussi étrange que cela puisse sonner.

Une petite vibration dans les mains de Stacy attira son attention sur l'outil.


Une carte, ou du moins un plan de ce qui semble être un ancien réseau militaire dans les pays de l'Est s'affiche à l'écran. L'emplacement des armureries, des vestiaires, des bunker... Et des vannes.

"- Je crois que je comprends. " Déclara-t-elle, un rictus aux lèvres.